Décembre 2019, Esprit Trail

Albert Camus avait célébré le mythe de Sysiphe, ce héros de légende montant et remontant son caillou, avec cette conclusion couperet : « il faut imaginer Sysiphe heureux ! », métaphore de la condition humaine. Ici à Montmartre, ce fut quelque sorte un hommage à Albert !
Faire 271 allers-retours dans les escaliers de Montmartre pour avaler 11 560 mètres de D+ en un temps record, voilà le menu ! Bienvenue à l’Ultra Trail de MontMartre ! Pour sa troisième édition, deux coureurs seulement ont gagné le statut de finisher. Le Suisse Christophe Nonorgue a bouclé cette course infernale en leader après 16h10 d’effort, soit une cadence de 728 mètres de dénivelé positif et négatif par heure. Derrière lui, seul héros encore en lice, après 16h29 voilà Alexandre Boucheix, par ailleurs vainqueur cette année de l’aller-retour Lyon-Saint-Etienne. Au départ de l’aventure, on dénombrait 23 passionnés à se frotter aux marches sacrées parisiennes pour relever ce défi « Camusien » à l’ambiance inimitable.

Une course atypique a été pensé par Alexandre Boucheix il y a 3 ans.
L’idée est partie d’une discussion entre amis traileurs en recherche d’un nouveau terrain de jeu : « Un pote avait fait une sortie à presque 4000 m D+ dans le secteur. J’ai trouvé ça dingue ! Alors on a commencé à en rigoler puis rapidement l’idée est venue de tenter 10 000 m D+ dans Paris-Intramuros pour reproduire le dénivelé du Mont-Blanc ! ». Et si le mot « ultra trail » s’est invité dans le nom de la course, ce n’est pas que pour l’appellation. Au pied de la basilique du Sacré-Cœur, pas de dossard, ni d’arche de départ et encore moins de balise GPS pour les coureurs. Et il faut aussi composer avec les touristes car les escaliers ne sont pas fermés au public. L’UTMM se veut une course en toute simplicité. Chacun rapporte son ravitaillement et vérifie ses allers-retours avec son compteur personnel. La confiance règne. Car ce n’est pas une compétition officielle comme on en a l’habitude, mais plutôt un défi entre amis organisé comme un off : « Je voulais garder l’aspect humain mais aussi décalé et sans prise de tête, raconte celui que tout le monde appelle Casquette verte. Le mot trail s’est infiltré mais c’est simplement une sortie entre copains complètement dingue, mais physiquement hors du commun ! »
Plus difficile que la Diagonale des fous
Et pour cause. La répétition des marches, le froid, la pluie, la monotonie du parcours, le manque de spectateurs et d’organisation… L’Ultra Trail de MontMartre combine un ensemble de conditions qui auraient déjà pu en décourager plus d’un. A cette liste, Alexandre Boucheix ajoute même un lendemain de course particulièrement difficile. Il vient tout juste de finir ses 271 allers-retours et s’inquiète déjà de l’après : « Je n’ai jamais eu autant mal aux jambes le lendemain d’une course. Même la Diagonale des fous m’a moins fait défaut. Les éditions précédentes, c’était juste atroce. Mais c’est ça qui est bon ! » En haut des marches, Christophe Nonorgue aussi s’inquiète de se réveiller sans pouvoir marcher : « Physiquement et mentalement, c’est le défi le plus difficile que je n’ai jamais fait. J’ai déjà mal partout et j’ai très peur demain pour mes mollets ! »

Pour s’attaquer à l’UTMM, il faut une certaine condition physique…
Mais aussi et surtout une puissance mentale indéniable. Et avec une telle météo, elle a été plus que jamais nécessaire ! « C’est la pire édition ! C’était très difficile de tenir mentalement parlant. Nerveusement proche de la torture », assure Alexandre Boucheix. La pluie s’est abattue sur les coureurs toute la nuit et ne leur a laissé aucun moment de répit. « Ça a été le plus difficile, confirme Emmanuelle Mayeur qui s’arrête après 151 tours en 24 heures. On était tous glacés et le vent soufflait fort ! Les imperméables nous collaient à la peau. Alors je me suis mise en mode bulldozer ! » Du plaisir dans la souffrance. C’est ce que sont venus chercher ces amoureux du dépassement de soi. Et le nombre de coureurs prêts à relever le défi parle de lui-même. Chaque année, ils sont toujours plus nombreux. En trois éditions, le nombre d’intéressés a explosé. En 2017, ils étaient 5 coureurs, puis 9 l’an dernier et enfin 25 sélectionnés sur plus de 500 inscrits cette année. « J’ai été obligé d’instaurer une sélection donc on le fait par tirage au sort. Mais chaque année je suis surpris de l’engouement pour l’UTMM ! »

Des profils différents pour une ambiance conviviale
Chaque fois, Alexandre Boucheix prend un malin plaisir à corser un peu plus le défi : « Déjà je le fais autour de Noël comme ça cela écrème. Sinon, chaque année, l’idée est de le rendre un peu plus difficile. J’ai pensé à mettre des pénalités avec des poids mais j’ai trouvé ça vraiment trop sadique... Alors je suis resté sur l’idée de changer la barrière horaire en fonction du gagnant et seuls ceux qui font moins seront finishers ». La première année, Guillaume Arthus était le seul à en découdre en 25h12. Pour être finisher l’année d’après, il fallait donc faire mieux que ce chrono. L’an dernier, c’est « Casquette verte » qui a établi le nouveau record de l’épreuve en 18h12. Cette année, ils étaient donc deux. Alexandre Boucheix s’est amusé à rajouter une autre catégorie, les « nisher », pour ceux qui ont fini le défi en moins de 25h12. Et ils sont deux cette édition à avoir mérité ce titre. Kevin Didier en 19h et Aurélien Blanchard en 23h22. Deux traileurs passionnés aux profils totalement différents.

Et c’est précisément ce qui fait la singularité de l’UTMM.
Sur la ligne de départ, tous les profils sont alignés. Il y avait des coureurs chevronnés comme Christophe Nonorgue, qui détenait il y a encore 3 mois le record du monde de dénivelé en 24 heures. Guillaume Arthus était également de la partie, deux mois seulement après avoir bouclé la Via Alpina en courant, soit 2650 km en seulement 44 jours. Ou encore le traileur de haut niveau et organisateur de courses Benoit Laval. A leurs côtés, certains s’essayaient pour la toute première fois à une course verticale. Des amateurs en demande d’un défi extrême comme Sébastien Simon qui s’arrête après 120 allers-retours. Il profite de sa bière en encourageant les derniers survivants : « L’intérêt je l’ai surtout trouvé dans le fait de rencontrer des gens d’horizons et de niveaux différents ! » Pendant plus de 24 heures, tous étaient concentrés sur leur course mais prêts à aider par quelques mots ou un simple sourire leurs nouveaux compagnons de galère. Très vite, les surnoms rigolos et les blagues ont fusé et le sourire était présent malgré la souffrance. De quoi créer une ambiance intimiste et conviviale entre passionnés de défis extrêmes. Car comme le souligne justement Charly Tracks, obligé d’en finir pour partir travailler : « C’était un moment de partage, un moment totalement dans l’esprit trail ! »
