Septembre 2019 / OUTSIDE

GTMC, L'AVENTURE MADE IN FRANCE

Quand certains rêvent de revivre le périple américain de « Wild », sur le Pacific Coast Trail, d’autres trouvent le grand frisson devant leur porte. Chloé Joudrier est ainsi partie en VTT sur le GTMC, un parcours de 1380 km traversant 5 parcs naturels entre la Lozère, le Cantal et la Haute-Loire. Le plus grand circuit en VTT de l’Hexagone.

Norvège, Cambodge, Etats-Unis, Singapour… En 2019, j’ai ajouté quelques tampons à mon passeport. J’ai été émue devant la pureté des fjords norvégiens, émerveillée par la douceur des campagnes Cambodgiennes, surprise face au dynamisme de Washington D.C. Mais cet été, je rêvais d’autre chose. Avec Florent, mon compagnon depuis 10 ans, nous avons décidé de nous attaquer à la mythique Grande Traversée du Massif Central.


Créé au milieu des années 1990, ce tracé vélo a été revu en 2018 avec un parcours encore plus long. Son balisage part désormais d’Avallon en Bourgogne et va jusqu’au Cap d’Agde, au bord de la Méditerranée. En plein dans la « diagonale du vide ». Ou comment mettre en lumière les richesses sauvages du Massif central et redynamiser ses territoires oubliés. C’est le plus grand circuit VTT (et VTTAE) de l’Hexagone. Au total : 1380 km traversant 5 parcs naturels et 2 sites classés UNESCO séparés en 31 étapes. Chacun compose son parcours comme il veut.


Ayant des attaches familiales en Lozère, suivre le tracé entre Saint-Flour, dans le Cantal, et Bagnols-les-Bains, en Lozère, était une évidence. Au total,130 km à avaler en 4 jours sur nos VTT chargés chacun de deux sacoches.

Un terrain technique et dans son jus


A Saint-Flour, c’est le début de la Margeride, cette montagne entre l’Allier et la Truyère que nous allons suivre jusqu’à notre arrivée à Bagnols-les-Bains. Pas de la haute montagne mais quand même, ça grimpe. Le point le plus haut culmine à 1552m d’altitude. C’est le Truc de Fortunio. Un panorama renversant sur le lac de Charpal – le plus grand lac « no kill » de France – le parc national des Cévennes, les monts d’Aubrac et du Cantal et la sublime Margeride. Cet immense massif granitique est fait d’une nature authentique et homogène. Les hautes terres qui s’offrent à nos roues sont parsemées de landes et de forêt de pins sylvestres et d’épicéas. Mais un tête-à-tête aussi privilégié avec la nature, ça se mérite.


Un mois avant notre départ, le département a été ravagé par des grêles violentes. Phénomène assez rare pour être souligné. Ici, tout le monde en parle. Les maisons, les voitures, les portails, les champs gardent les traces de ces intempéries. Et les chemins que nous devons emprunter aussi. Les sentiers ont été remués par les éboulements du mois dernier. Personne n’est passé par là depuis un moment. Et pour cause. C’est très caillouteux, voire impraticable dans les montées. Alors nous poussons beaucoup le vélo. Sans ces intempéries, le parcours reste globalement très technique. « Ce n’est pas donné à tout le monde la GTMC ! Ils essayent de faire quelque chose de familial mais cela reste très technique ! », nous confie Marie Amarger, qui a l’habitude de recevoir des VTtistes dans sa ferme au Giraldès, en Lozère.


Certains hameaux sont reculés au point d’être loin de toutes commodités. Une problématique que connaît bien Micheline, gérante du bar-restaurant de Pinols, en Haute-Loire. Ici, l’eau courante n’a été installée qu’en 1960. « Pas de travail, pas de commerce, tout est à Langeac à 15 km. Avant, il y avait deux écoles et la seule qui reste va probablement fermer. Il ne reste plus que 11 gamins ! », regrette-t-elle. Au quotidien, ici, si tu n’anticipes pas, tu galères. 

Des villages désertés


En cette période de canicule, les blés sont dorés et le paysage commence à jaunir. « On attend la pluie ! » ne cessent de répéter les habitants. Faire du vélo en cette semaine de fortes chaleurs est un peu inconscient. Alors nous prenons notre temps dans les pinèdes fraiches. Heureusement, les villages de la région ont gardé pour la plupart leur fontaine. Je suis à deux doigts de me jeter entière dedans. Je bénis chaque fois ces bourgs qui ont su les conserver. Les petits villages que nous croisons sont faits de maisons élégantes à l’aspect parfois sévère avec que leurs grosses pierres de granit et leur toiture en lauzes.

Mais il y a des moments où nous ne traversons rien, ne croisons personne. Pendant des heures. Les villages sont très espacés, en partie à cause du relief. Seuls indices du passage de l’homme, des chemins et quelques cultures. Dans le village de Boussillon, en Haute-Loire, Florent rêve un instant de s’installer dans cette belle demeure affichant« à vendre ». Il déchante vite quand nous devons pédaler une heure sur une route envahie par la végétation pour rejoindre le village voisin.

Aurochs et micro-parcelles


En chemin, nous croisons parfois un paisible troupeau de vaches d’Aubrac. Dans la région, les bovins autant que les ovins sont précieux. Ils ont un ennemi redouté : le loup. C’est à Ruynes-en-Margeride, attablés au bistrot « Chez Annie » que le patron au crâne rasé et à la grosse barbe raconte : « C’est le vrai problème ici. Il mord nos bêtes, la vide de ses boyaux qu’ils posent à quelques mètres avant de s’attaquer au corps ». J’adore ce genre d’histoire avant de m’enfoncer à vélo dans la montagne… Le pire c’est qu’il continue : « Depuis quelques temps on parle même d’un puma qui roderait ici. Mais j’ai du mal à y croire ! ». Décidément, la Margeride est une terre de légendes. La plus connue est sans doute celle de la bête du Gévaudan. En 1764, un animal aurait attaqué et tué une centaine d’humains. Et chacun y allait de son avis. Un loup-garou, un babouin, une hyène… Personne n’a jamais vraiment su ce qu’il en était vraiment.

Le terrain souvent cabossé ne laisse pas trop l’occasion d’admirer le paysage. Il faut parfois poser le pied. Les petites parcelles labourées révèlent l’émiettement de la terre. Ce paysage bien organisé est le témoin du fonctionnement de la société rurale traditionnelle. Ici, l’agriculture moderne n’a pas altéré les pratiques paysannes. C’est la force d’une région isolée, non soumise à la pression urbaine et à la performance. A l’image de la famille Amarger, agriculteurs et éleveurs d’Aurochs. « Tous les bovins d’aujourd’hui descendent de lui. Ces animaux sont la photocopie de l’animal préhistorique », explique avec passion le père. Il n’en existe plus aujourd’hui que 500 en France, dont une vingtaine chez les Amarger. Des animaux très curieux, avançant à pas de velours dès que nous tournons la tête. Comme l’impression d’un retour dans le passé. « Ils sont fascinants, très indépendants. Toute l’année à l’extérieur, ils se nourrissent en partie de ce qu’ils trouvent». Depuis de nombreuses années, ces éleveurs tentent de réintroduire cette race rustique, longtemps disparue.

Les Amarger aiment recevoir et transmettre leur histoire. « Sans l’accueil, de visiteurs, on ne serait pas restés, confie le père Amarger. On est riches de tous ces gens que l’on a rencontrés. S’ils continuent de venir dans la région, à terme, cela pourrait améliorer la relation entre villes et campagnes ».

Voilà une heure que nous avons quitté le village de Chanaleilles. Le dénivelé est faible mais les innombrables racines rendent l’avancée compliquée. Avec nos vélos surchargés, c’est un calvaire. Nous finissons par tomber sur le Domaine du sauvage, une ancienne ferme monacale transformée en auberge-gîte. Elle appartient aujourd’hui à la région mais est gérée par une association de 32 agriculteurs, promouvant le circuit court. Depuis 10 ans, ils y proposent une cuisine locale provenant de leurs fermes. Nous y rencontrons surtout des marcheurs, en route pour Saint Jacques de Compostelle.

Pour nous, le périple est près de sa fin. Nous n’aurons parcouru que 10% de la GTMC. Le temps pourtant de découvrir un petit paradis sauvage, à quelques coups de pédales de chez nous.

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